Le «Petit Livre rouge» de Mao Tsé-toung

29 mars 2008

Lors de ma semaine d'état-major au début mars 2008, je suis tombé au cours d'une de mes revues de presse sur une lettre de lecteur parue dans le quotidien valaisan LeNouvelliste. L'auteure de la lettre [je n'ai malheureusement pas retenu son nom et je m'en excuse] y relevait la fulgurance de l'analyse du philosophe et écrivain Jean Romain dans un billet paru dans le même Nouvelliste, le 5 mars 2008, et intitulé «Le Petit Livre rouge». Entre-temps, j'ai failli oublier de rédiger ce billet qui avait pris forme «sous les drapeaux».


Partant du constat qu'aujourd'hui «on ne parle plus que de la Chine, [le] pays au taux de croissance époustouflant, le pays des JO, le pays de l'avenir pour les investisseurs», Jean Romain s'attache à considérer la place qu'est en droit d'occuper dans une bibliothèque le fameux Petit Livre rouge de Mao Tsé-toung*.

Il fut la Bible de bien des gens durant les années 1960. Même chez nous, en Mai 68, nos fringants étudiants maoïstes et futurs tabellions se donnèrent dans l'extase le frisson révolutionnaire.
Pour Jean Romain, à tout choisir, entre le rayon des documents historiques, celui des monuments et celui des livres qui sont au fondement d'une institution, le Petit Livre rouge de Mao Tsé-toung se range sous «Documents». Les sinologues approuveront certainement cette classification. En regard des classiques chinois ainsi que du rapport au temps et du pragmatisme qui caractérisent la civilisation chinoise, le Petit Livre rouge, c'est tout au plus un succès de librairie.


Pragmatisme chinois

Jean Romain, nous dit aussi que la Chine moderne est aux antipodes de la pensée de Mao Tsé-toung et que, faisant preuve de pragmatisme, elle se développe.

[La Chine] a compris que si l'on veut nourrir les gens et leur donner de quoi vivre dignement, il faut renoncer à l'idéologie, à la planification étatique, redistribuer les terres, et surtout laisser l'économie de marché prendre le pas sur la dictature du prolétariat.
Au gré du balancier historique qui la fait osciller en allers et retours plus ou moins prononcés entre la doctrine confucéenne et les préceptes taoïstes/légistes, la Chine se développe. Plutôt, elle change, à son rythme et dans les limites que lui accorde son passé multimillénaire. Elle nous paraît même adopter les principes de l'économie de marché, ce qui devrait - de notre point de vue d'Occidentaux - l'entraîner obligatoirement sur la voie de la démocratie. Cela nous rassure, plus sur nous-même et notre vision du monde, que pour tout autre chose. Chez certains commentateurs politiques ou économiques, on décèle toutefois la crainte que la Chine réussisse à intégrer les principes de l'économie de marché, sans verser dans la démocratie. Voilà qui bousculerait maintes certitudes érigées en lois.

Si on prend le temps de lire attentivement Le Tao du Prince du philosophe chinois Han Fei (IIIe siècle avant notre ère), dans sa version présentée et traduite du chinois par Jean Levi, adopter les principes de l'économie de marché sans intégrer ceux de la démocratie n'apparaît pas comme une chose impossible pour la Chine. À l'inverse du Petit Livre rouge de Mao Tsé-toung, l'oeuvre de Han Fei trouve sa place, elle, à côté de nos plus grands textes fondateurs tels que la République de Platon, le Léviathan de Hobbes, Le Prince de Machiavel ou Le Contrat social de Rousseau. En véritable doctrinaire du légisme, Han Fei pousse la logique du système jusqu'à ses ultimes conséquences, pour aboutir finalement au mêmes conclusions que la théorie libérale. Le contrôle de la société au travers d'un système implacable d'«incitations» et de «sanctions» n'est pas sans rappeler, sur le principe, le fonctionnement du libéralisme, une autorégulation sociale obtenue par le libre jeu de l'offre et de la demande. Lorsque dans ses «Charades extérieures», Han Fei affirme que «L'altruisme excite la haine ; l'intérêt personnel assure l'harmonie. Animosité et conflits dressent parents et enfants les uns contre les autres, alors qu'il suffit de donner du bouillon gras à ses ouvriers pour être bien servi», comme le relève Jean Levi, nous ne sommes pas bien éloignés du célèbre passage d'Adam Smith sur la «bienveillance du boucher».

La Chine se développe, certes, mais peut-être pas au sens stricto sensu du développement vers plus de démocratie, comme on aime souvent se rassurer à le penser. Plutôt devons-nous la voir changer.

...à suivre...


Hyperliens
LeNouvelliste, Jean Romain, classiques chinois, confucianisme, taoïsme, légisme, Jean Levi

Référence bibliographique
Han-Fei-tse ou Le Tao du Prince. La stratégie de la domination absolue, Han Fei (présenté et traduit du chinois par Jean Levi), Points Sagesses Seuil, Paris, 1999

* Les spécialistes de la langue chinoise ne me tiendront pas rigueur d'utiliser généralement le système de transcription de l'Ecole français d'Extrême-Orient (E.F.E.O) lorsque j'indique des noms chinois. Il ne s'agit nullement de privilégier l'approche francophone au détriment de celle anglo-saxonne. Travaillant principalement sur la Chine ancienne, à l'instar de Jean Levi je considère que d'un point de vue esthétique et symbolique ce système répond mieux que le pinyin à la transcription des «noms anciens et vénérables dont la mémoire s'engloutit dans la poussière des tombeaux».

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