L'ambulance de la Glâne ou le "génie de la milice"

11 avril 2008

Je vous remercie de m'avoir permis de vivre une expérience extraordinaire durant ces années. [...] ... dans l'immédiat, j'ai besoin d'oublier ce qui fut pour moi une sorte de passion.
Au moment de raccrocher sa combinaison rouge d'ambulancier du Centre des premiers secours sanitaires de la Glâne, plus d'un a certainement dû connaître ce besoin d'oublier. Oublier cette « sorte de passion » qu'évoque un ambulancier dans sa lettre de sortie du service de l'ambulance du district de la Glâne.

Oublier les montées d'adrénaline des départs en intervention, la tension des situations d’urgence. Et le manque aussi qui en résulte quand cela s’arrête. Oublier la difficulté de se rendormir une ou deux heures au retour d’une urgence de nuit. Quand  l’eau de la douche réconforte mais ne vous lave pas des images, des sons et des odeurs de l’intervention accident. Quand vous n’arrivez pas à effacer la vision de la moto explosée de votre coéquipier de basket et celle de son corps désarticulé qui vous hurle qu’il ne sera plus là pour vous faire la passe lors du prochain match.
Quelque treize ans plus tard, j'y étais assez bien parvenu, à oublier. Jusqu'à ce que le décès de ma maman en 2007 ne me plonge dans les archives de «Doly-centrale» ...

Un système de milice très Suisse

Durant ving-cinq ans, le service d'ambulance du district de la Glâne ne compta qu'un seul employé permanent : son gérant, en l'occurrence mon papa. Financé par les communes du district, le Centre des premiers secours sanitaires de la Glâne (CPSSG) ne pouvait s'offrir plus d'employés permanents. Partant, les centralistes, chauffeurs, ambulanciers ou chefs d'intervention qui assuraient la disponibilité permanente des premiers secours pour le district de la Glâne étaient tous des « miliciens » - des volontaires - qui mettaient leur temps libre à la disposition du service d'ambulance. Pendant quinze ans, je fus de ceux-là.

Une vie à côté du téléphone ...

Papa gérant du service d'ambulance, notre appartement est vite devenu «Doly-centrale», la centrale d'engagement de l'ambulance de la Glâne.
De jour comme de nuit, cela commençait toujours par un appel téléphonique sur le «treize trente-trois». Le 037 52 13 33, ou plus tard le 026 652 13 33, le numéro d’appel de l’ambulance. Le «treize trente-trois», une sonnerie différente des autres, de toutes les autres : le «treize trente-quatre», le «vingt-six zéro neuf», le «dix-neuf cinquante-deux» ou encore le «dix-huit quatre-vingt un». Toutes ces lignes aboutissaient sur le bureau de papa mais seule la sonnerie du «treize trente-trois» retentissait à travers tout l'appartement. La famille vivait au rythme de l'ambulance. Maman encore plus que n'importe qui.
Vingt-cinq années durant, elle n'a quitté l'appartement que «vite» ou «en vitesse», des fois que papa doive partir en intervention d'ambulance, alors que Vincent, Claude, Alexandre ou moi étions absents du domicile, permanence téléphonique et du réseau radio obligent. Avec le temps, maman était devenue la voix de l'ambulance de la Glâne.

La voix de l'ambulance

De nuit, c’était en principe papa qui prenait l'appel et qui souvent déclenchait soit Jean-Paul, Etienne, «Jeannot», «Titoune», Vincent, moi ou un autre. Une fois papa parti, maman assurait la permanence du téléphone et du réseau radio de l'ambulance.
Durant la journée, c’était presque toujours maman qui s’y collait :
- Bonjour Yolande, c’est Marie-Madeleine, …est-ce que Jean-Paul est là ? Ce serait pour une ambulance… Est-ce qu’il… Ah, il enfile déjà sa blouse ?! Dites-lui que c’est pour un malaise à Villaraboud. Hubert le prend devant chez vous dans cinq'. Il est déjà parti ?!
[En direction de la porte d’entrée de l’appartement - Il te rejoint au garage !
- Vous étiez en train de manger ? Vous alliez vous mettre à table… J’espère qu’ils ne devront pas aller jusqu’au Cantonal… J’averti tout de même le Parc qu’il aura du retard. Excusez-moi du dérangement Yolande. […] Merci, c’est gentil. […] Oui, je vous tiens au courant. Au revoir Yolande.
De jour comme de nuit, à la radio, c'était toujours la voix de maman qui réduisait la part d'inconnu :
- Doly 1 de Doly-centrale, répondez.
- Doly 1, j'écoute.
- La gendarmerie vient de me préciser : accident frontal, deux véhicules, deux blessés graves, un léger. À vous.
- Doly 1, compris, déclenchez le Parc. Terminé.
- Doly-centrale, compris, je déclenche le Parc. Terminé.»
En intervention accident, en transfert sur le Cantonal ou sur le CHUV, seuls dans la nuit à la recherche d'une ferme isolée dans laquelle attendait «un fémur cassé», c'était en permanence la voix de maman qui nous reliait avec l'Hôpital de Billens, l'Hôpital cantonal de Fribourg ou le CHUV de Lausanne, le médecin, les autres services d'ambulance, le Centre de renforts de Romont - les sapeurs-pompiers - et la gendarmerie.

Speedy Jean-Paul

De nuit comme de jour, lorsque «Doly 1» et «Doly 2» étaient encore stationnées à la route d’Arruffens 22, dans le garage souterrain de l'immeuble où nous habitions, le fait de prendre Jean-Paul devant chez lui nous évitait surtout le camouflet de le découvrir, battant la semelle devant la porte du garage, à attendre que le véhicule sorte – enfin !
C'est qu’il était rapide, Jean-Paul. Très rapide. Souvent plus que nous qui n’avions que deux étages à dévaler et un vingt mètres à courir pour embarquer dans «Doly 1». Deux cents mètres. C’était, grosso modo, la distance qu’il avait à parcourir entre chez lui – quatrième étage – et le garage de l’ambulance. - Ben, je dors avec mon équipement au pied du lit quand je suis de piquet ... Pas vous ? Une nuit, après lui avoir passé le volant de "Doly 1" et indiqué notre destination ainsi que le cas qui nous attendait, il m'a dit n'avoir pas pris le temps d'enfiler ses chaussettes et être pieds nus dans ses bottes fourrées ...
Et tous les handicaps que papa s’ingéniera à nous imposer au fil du temps n’y changeront rien. Les poches de nos blouses blanches, et plus tard de nos combinaisons, déformées à se déchirer par un carnet de fiches d’intervention, un porte-mine - «Parce que cela fonctionne en toute situation !», un stylo bille, un stylo feutre indélébile, une craie grasse de couleur jaune, une paire de ciseaux à bouts ronds, une pince à clamper, une paire de ciseaux universels - «Pour couper les jean’s et les blousons de cuir sans devoir bouger le blessé !», une mini lampe torche pour tester la mydriase, deux rouleaux de bande adhésive de largeurs différentes, deux ou trois paires de gants de latex, un gros mini Pocket Mask pour la ventilation «bouche-à-nez», …et l’indispensable radio portative à la main, Jean-Paul restait le plus rapide.

Hello Doly !

La première «Doly 1» ... C'était un fourgon Fiat 1100. Déjà sous-motorisé pour une ambulance, avec les quelque 1'000 kilos de matériel sanitaire rajoutés par papa, c'était un vrai veau.
Descente en urgence sur le CHUV. Papa au volant, Jean-Paul et Romain à l'arrière avec le patient. Feux bleus enclenchés, pied au plancher pour attaquer la montée d’Essertes au déboulé d’Oron-la-Ville : quarante et un à l’heure ...et clignoteur à droite pour indiquer à la voiture qui à la voiture qui talonne «Doly» qu'elle peut doubler !
La première fois où cette anecdote est parvenu à mes oreilles, j’ai cru à une boutade de Jean-Paul. Il avait coutume d'en faire au retour d'une intervention difficile. C'était sa façon de procéder d'évacuer la tension, autour d'une tasse de café. Et il en faisait parfois des tonnes lorsqu’il évoquait «Doly», ses reprises, sa tenue de route et sa pointe de vitesse.
Jusqu’au soir où je me suis retrouvé moi-même en transfert d’urgence sur Lausanne, dans la montée d'Essertes, avec Jean-Paul qui jouait du levier des vitesses pour éviter qu’en troisième l’aiguille du tachymètre ne passe lamentablement sous la marque des quarante, et qu’en deuxième les vibrations parcourant la caisse du fourgon n’achèvent le blessé. Et à nos trousses, une Golf qui à grand renfort d'appels de phares demandait le droit de nous doubler...

Une époque, un système

On a dit, à l’occasion, que le système de service d’ambulance mis en place dans la Glâne était la meilleure solution pour le district. Peut-être. À tout le moins, cela demanderait une étude comparative pour l'affirmer.
Toutefois, au vu du coût que représente aujourd'hui pour la collectivité un service de premiers secours professionnel, la solution adoptée dans la Glâne n'était pas aussi amateure qu’ont bien voulu le dire ses plus ardents détracteurs.

Notes de fin

La mise en ligne de ce billet et celle sur Flickr d'images retrouvées dans les dossiers de «Doly-centrale» constituent deux clins d'oeil de ma part : l'un à l'adresse de l'«équipe des rouges» - comme nous appelait «Titoune» - et l'autre à «leurs Doly's».
Si les «Doly's» ont quitté Romont pour Vaulruz, l'«équipe des rouges» ne s'est pas dissoute pour autant. Un bonne partie de ses membres est restée active au sein du Club 144 Rescue Team de Romont.

Albums photos sur Flickr
Les «Doly's» à la parade
| L'«équipe des rouges» à l'engagement

Hyperliens
Ambulances Sud Fribourgeois
| Club 144 Rescue Team Romont


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2 commentaire(s):

Anonyme a dit…

En lisant ce texte, mes souvenirs se sont très vite ravivés et ma lecture s'est vite empressée. Cette tranche d'histoire tend à disparaître chez moi, mais avec ce texte, les émotions me reviennent.
La forme utilisée redonne bien l'ambiance de cette époque. Les aspects comme la montée d'adrénaline ou alors ces phases d'après-interventions ravivent très bien les moments et les états d'esprits que j'ai vécu. Ce temps me laissera toujours des images très fortes d'action et surtout d'engagement total des participants pendant l'intervention.
Ce document et les photos sont superbes. Merci pour ton travail.
Eddy_

François Monney a dit…

Merci pour les louanges, Eddy. Cela me touche.

Je suis très heureux que ce texte et les photos t'aient plu.
Ecrit à la première personne, le texte souffre toutefois de partialité. J'ai oublié beaucoup de personnes et fait l'impasse sur l'engagement qui pourrait faire l'objet d'un ouvrage à lui tout seul. Il est toutefois difficile de faire plus long sous cette forme de publication.

Je commettrai peut-être un autre billet sur le sujet, à l'occasion. Autre perspective : pousser plus avant l'embryon de synopsis d'ouvrage qui traîne sur mon bureau. Mais ça, c'est toute une autre histoire, une autre aventure.

Bien cordialement,
François Monney

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