Beijing 2008 : l'image brute de Liu Xiang

18 août 2008

Aux Jeux du traficotage des images, il en est de celles qu'on ne peut retoucher. Au jeu de la maîtrise de l'image, il y en a toujours une qui vous brûlera les doigts.

Avec celle du hurdler chinois Liu Xiang blessé aux adducteurs et au tendon d'achille qui rend les armes sans même combattre, le régime chinois va probablement l'apprendre à ses dépens.

En ce lundi 18.8.08 à 11h50 (heure locale de Beijing), malgré lui et en dépit de la mise en scène officielle dont il semble avoir été l'objet, Liu Xiang a donné, à des millions de chinois qui l'élevaient au rang d'icône olympique, l'image d'un chinois, seul, qui prend une décision pour lui-même, à la face de la Chine, à la face du monde, en déclarant forfait au départ de sa série qualificative sur 110 m haies. Médusé par le coup de théâtre auquel il vient d'assister, le public du « Nid d'oiseau » se révèle incapable de faire ce que tout public ferait en pareille circonstance : réconforter son champion blessé en l'ovationnant par des applaudissements ou une acclamation debout.

Les commentateurs sportifs parlent de drame ou de traumatisme national et décrivent la stupeur qui s'est emparée des tribunes. Vision conforme à la presse sportive. La nature du traumatisme n'est pas forcément celle de la chute d'un champion ou de la perte d'une médaille. L'essentiel ses situe ailleurs, dans l'impensable.

L'impensable pour un chinois : que Liu Xiang, sensé s'entraîner dans le plus grand secret depuis le 24 mai 2008, date de sa dernière course, puisse être blessé au point de ne pas pouvoir courir au moment des Jeux.
L'impensable pour les responsables sportifs chinois : que Liu Xiang, même incapable de s'aligner au départ d'un 110 m haies, n'apparaisse pas aux yeux de son public. Que le premier athlète masculin du pays à avoir remporté une médaille d'or olympique en 2004 aux Jeux d'Athènes ne puisse courir. Que Liu Xiang ne puisse servir à la conquête du rang de première puissance sportive mondiale, quitte à ce qu'il casse en plein effort, en héros national fauché par la blessure sur le champ d'honneur.
L'impensable que l'inimaginable puisse se produire alors que tout le reste a été pensé dans les moindres détails, jusqu'à l'harmonie des traits du plus obscur des figurants de la cérémonie d'ouverture. L'inconcevable : que Liu Xiang ne puisse offrir au monde et aux chinois une autre image que celle d'un athlète perclus de douleur qui s'en retourne, la mort dans l'âme et sans prendre l'avis de personne dans les entrailles du « Nid d'oiseau », sans même un regard pour ce public qui l'adule tant.
Tout a probablement été pensé et mis en scène. Sauf le moment de vérité, lorsque la parole est à la vitesse, à la souplesse et à la force pures en représentation et non plus aux stratagèmes et aux discours officiels. Et l'on se retrouve pris à son propre jeu de maîtrise de l'image, a cause d'un Liu Xiang qui ne peut survivre à un faux départ. L'image traumatise, génère des émotions, pose des questions.

Tant les larmes de Sun Haiping, l'entraîneur de Liu Xiang, inconsolable lors d'une conférence de presse d'anthologie, que l'explication officielle servie par Feng Shuyong, l’entraîneur en chef de l’équipe chinoise, ne pourront effacer l'image produite in situ ou par écrans interposés sur des millions de chinois : celle d'un compatriote, seul, en charge de décrocher l'or olympique et refusant de s'y résoudre dans l'intérêt de son intégrité physique.
Cette image, le discours officiel pourra l'interdire, certes, mais pas l'effacer de l'esprit des chinois qui l'ont vue. Pis que cela pour le régime en place, dès aujourd'hui et jusqu'à la fin des Jeux, toutes les images d'échecs, de réussites et de performances individuelles dont sont abreuvés les chinois pour maintenir leur engouement pour les Jeux réveilleront immanquablement les émotions liées à celle de Liu Xiang. Certes, on peut contrôler l'image, mais l'on ne peut maîtriser les émotions que celles-ci génèrent aux tréfonds des individus.

Au final, plus que les 8 médailles d'or du phénomène Michael Phelps en natation, c'est l'image du forfait de Liu Xiang qu'il faudra retenir de ces Jeux olympiques de Beijing. En confiant les Jeux à la Chine, le Comité olympique entendait accélérer l'ouverture de celle-ci sur le monde. Pour naïve que la décision pouvait a priori apparaître il y a deux mois encore, il semble qu'aujourd'hui Liu Xiang a inconsciemment donné un sérieux coup de main au CIO dans son pari : en jetant l'éponge sur ses rêves de médaille pour la Chine, Liu Xiang a, malgré lui, montré à ses compatriotes que l'individu avait une valeur.

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